Facebook

[sceptique déterminé]

Je voudrais mettre aujourd'hui par écrit mon opinion sur ce réseau internet qui prend tant de place dans l'organisation de la vie entre jeunes des gens que je fréquente.


Qu'est-ce que facebook? Et bien à mon sens c'est d'abord un instrument typique de gestion utilitaristes des relations que l'on a, que l'on a eu ou que l'on peut avoir. En d'autres termes, il s'agit d'une accélération du travail que les classes aisées ou traditionnellement respectées mettaient des années à achever à force de soirées (rallys) ou de passages à diverses cours.

On nage en plein idéal cybernétique! Plutôt que de cacher son identité derrière des gouts, des pratiques, des apparences et des formes de rencontres, chacun s'y donne une identité formalisée selon les mêmes critères pour tous. Ainsi aucune information n'est secrète. Du moins pour ceux dont on a besoin dans ses relations. C'est une soumission au pouvoir infini qu'ont les maîtres de la communication. Par la suite, on peut toujours arguer qu'il existe toujours une identité cachée derrière l'écran-signe de l'avénement de la cybernétique par le libéralisme économique selon Philippe Breton- mais plus le temps passe, plus c'est cette identité, une espèce de CV encore plus ouvert sur la psychologie de la personne ne laissant aucune place à la preuve par soi-même de ce qu'on est, qui régit notre existence sociale: à quelles soirées on peut aller, quel stage on peut faire voire même quel poste on va employer. En gros, c'est la fin de l'égalité sociale: toutes les données contre lesquelles on peut lutter dans sa vie sont sur facebook publique. Et vous verrez que le mot "destin" va revenir à la mode en-dehors même des films hollywoodiens.

C'est un plongeon dans "la fin de l'histoire": tout est visible (quoi qu'en disent ceux qui prétendent que seuls leurs amis peuvent voir leurs données) et donc on peut manipuler, mettre en scène, et mettre en avant les détails personnels normalement secrets des individus pour ralentir ou accélérer leur évolution sociale. Ne croyez-vous pas que pour que "l'esprit soit chez lui" il faut faire aboutir cette dialectique entre l'homme et le monde? Facebook c'est du conservatisme en boîte, car le libéralisme idéologique, c'est l'arrêt de toute activité visant à créer du nouveau, à remettre en cause, à penser quoi!

Je tiens à marquer moi-même mon hypocrisie: pour la télévision, je m'oppose farouchement à Baudrillard en affirmant qu'en la contrôlant on peut changer son message et là je me fais l'ardent défenseur de ses théories.

Dites-moi ce que vous en pensez, car la pression sociale est forte autour de moi!

[Baptiste]

c'est marrant parce que de mon cote aussi je subis le constant travail de sape de la part de mes camarades pour que je m'inscrive sur Facebook... et c'est vrai que pour garder des relations que l'on s'est faite a l'etranger ou pour conserver pendant l'annee celles de France ca peut etre utile. Mais comme tu l'as dit le mot cle est ici "utile", on formalise la relation amicale dans une base de donnes informatiques, ni plus ni moins.

Je m'efforce de rester dans le droit chemin par principe... Cependant mon pessimisme de nature m'oblige a regarder les choses en face: Facebook n'est qu'un avatar parmi d'autres de cette decheance de l'esprit, et ces autres avatars nous y avons souscrit (a commencer par l'info rapide sur Internet). Mais bon, aucun individu, qui plus est jeune, ne peut resister a tout ca, si l'on veut respecter ses principes on est condamne a faire un compromis, pour ma part j'ai choisi d'incarner cette lutte contre le seul Facebook. Ce mouvement semble ineluctable donc on pourrait raisonnablement se dire: pourquoi pas moi aussi si de toute facon c'est irremediable? C'est la qu'on voit qui a de VERITABLES principes et sait les tenir et qui n'en a pas.

[Rémi]

Etant presque en total désaccord avec vous, je me lance quand même dans une tentative, non pas de défense, mais d'appréhension autre du phénomène Facebook.

Préalable: oui, je me suis inscrit récemment sur Facebook, après avoir longtemps refusé/hésité de le faire.

Inscrit, suis-je dès lors devenu un homme sans principes? Peut-être. Sauf à considérer que les principes sont une belle appellation pour qui est trop orgueilleux pour accepter de changer d'avis. Mais là n'est pas le fond de la question (question et non pas problème) car il ne s'agit pas ici de juger autrui.

Tout d'abord les références à Hegel sont-elles vraiment indispensables pour traiter d'un tel sujet? Je n'ai, loin de là, rien contre l'hégélianisme, et suis le premier à penser que les philosophies du passé peuvent toujours nous être utiles pour donner un sens au présent, mais tout de même! Hegel contre Facebook, le raccourci me semble un peu rapide.

Sur le fond: Facebook comme accélérateur de relations sociales? Ma réponse est: et alors, où est le problème? Tu le dis toi même, un réseau social structuré et développé était et est toujours un marqueur d'appartenance à une classe bourgeoise (seule véritable classe existante). Dès lors si cette possibilité d'un réseau s'offre à un plus grand nombre d'individus, doit-on s'en plaindre? Pour ma part je ne le ferais pas. Pourquoi m'être finalement inscrit? Auparavant, j'associais Facebook à ce milieu que l'on pourrait justement qualifier de "bourgeois": i.e. une partie de mes camarades de prépa. Puis j'ai appris que non, la bourgeoisie lyonnaise (ou autre) n'avait pas le monopole de Facebook: de nombreuses connaissances, issues d'un milieu rural, populaire ou moyen étaient elles aussi inscrites. Il n'y a donc rien de bourgeoiso-sectaire dans ce site, ou s'il y a de ça, c'est que nous n'avons pas les mêmes "réseaux": en forçant le trait exagérément on pourrait vous retourner comme argument que si vous rejetez Facebook c'est par crainte de voir ce privilège du réseau vous échapper.

Ensuite, je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'il y a d'utilitariste en Facebook. Il n'est pas question de pistons, où alors j'ai loupé un épisode. Il me semble qu'il s'agit plutôt d'un gigantesque réseau de blogs permettant de partager des photos, des avis, des passions ou des délires entre amis ou connaissances. Je lis que tout serait visible sur ce site. Cela est faux. Il est tout à fait possible de refuser l'accès de votre page à certaines personnes, de restreindre la visibilité de vos photos ou informations à un groupe spécifique "d'amis". Comparé à un simple blog (voire à un forum!!) on ne peut lire les avis ou les informations d'un individu que si celui-ci a accepté que nous accédions à ses données. Par ailleurs chaque individu choisi librement de communiquer des informations et d'en communiquer de vraies. De plus il ne s'agit en aucun cas de n'avoir plus aucun secret pour personne. Question à Baptiste qui ne me connaît pas: si je te dis que je suis né le 27 mars 1988, que je suis un homme, que je viens de Lyon et que j'ai fait une prépa BL (infos présentes sur ma page), cela te permet-il de connaître tout de moi?? Répondre oui serait téméraire.

Concernant la visibilité des données: elles ne le sont pas plus que tout ce qui est écrit ou transite sur internet. Un mail, un forum, un blog sont autant susceptibles d'être victimes d'aspirateurs de données que ce qui est sur Facebook. Là où je m'incline c'est que Facebook peut faire ce qu'il veut de nos données: mais encore une fois la communication d'informations est un choix de l'utilisateur!!!

Petit bonus sur comment l'on pourrait aussi comprendre le "phénomène" Facebook. Vous me parlez de déchéance, de fin des principes et d'utilitarisme. Pourquoi pas. Mais alors parlez aussi de la perte de sociabilité et de l'amenuisement des solidarités collectives. A l'heure du chacun pour soi, de la destruction de la Sécurité Sociale et du sentiment croissant de ne plus être protégés (pas que sécuritairement parlant), le besoin de lien social pour les individus ne peut-il pas se porter sur un réseau amical tel que Facebook? Ne serait-ce pas un moyen de récréer un semblant de lien social là où la société se déchire? Je pose la question.

En résumé: * nous n'avons pas besoin de grands mots ou références pour donner une signification à ce qui nous entoure.
* les privilèges sont à abolir non pas parce qu'ils sont -lèges mais bien parce qu'il sont privi-.
* l'utilitarisme se trouve aussi dans votre répertoire téléphonique.
* visibilité des informations sans doute, mais quelles informations???
* la déchéance et l'abandon des principes ne permettent en aucun cas d'expliquer ce "phénomène", ce sont des jugements.

Au plaisir de lire vos retours.

[sceptique déterminé]

Cher Rémi, non que le contenu de ta réponse me plaise, je suis ravi, de voir que tu visites encore ce forum!

Pour essayer de mieux expliquer ce qui me gène dans Facebook:

-le format construit par des bourgeois est une légitimation de leur domination économique et sociale dès lors que tout le monde l'accepte.

-ce qui me gène, ce n'est pas le côté communication de facebook mais le mixage des identités qui est fait dès le moment où on peut prétendre connaître quelqu'un à partir de quelques données qu'il a bien voulu laisser apparaître.

- en ce qui concerne le non-contrôle d'une pseudo-information, je sais bien qu'on peut garder une partie de ses données privées, mais la communication sur facebook se faisant à travers des échanges de certaines données permis par le format et les liens de connaissance entre tous étant mis à nu, l'information ou du moins les données partent de tous les côtés vers des individus qui vont s'en servir pour produire de faux jugement et des connaissances. Et il est vrai que ce qui m'inquiète le plus c'est d'offrir toutes ces données sociales à un même pouvoir de concentré de bourgeois.

-à propos d'Hegel, je l'ai surtout cité pour faire un clin d'oeil à Baptiste et parce que sa pensée peut aider à comprendre celle que j'ai de l'existence. Si on ne peut même pas essayer de faire vivre nos pensées, je trouve que la philosophie est une science bien égoïste, et donc n'est pas une science..

-à propos des pistons: bien sûr qu'il en est question! Il est de notoriété publique que beaucoup d'entreprises sélectionnent les élèves sortant des écoles de commerce et même d'autres en passant par leur profil pour connaître leur nombre de relations utiles, leur religion ou autres pratiques. C'est tout de même une destruction partielle du peu d'égalité des chances qu'on a prétendu instaurer ce dernier siècle.


En revanche je veux bien reconnaître qu'il est honteux de répondre un par un aux éléments de ton message ainsi pour tenter de les retourner plutôt que de chercher à légitimer ma pensée pour mettre à jour les différences fondamentales qui font que nos points de vue peuvent persister l'un et l'autre, reposant sur des conceptions différentes de la pensée. (J'ai fait mon Bourdieu quoi!)

De même, il est vrai que dans mon cas l'idéalisme a tendance à cacher un conflit d'orgueil, et que l'idée de ce privilège me dérange aussi en rapport à mon histoire personnelle. Mais bon, tout comme Marx pensait que le prolétariat ne pouvait avoir que l'intention du meilleur régime n'ayant pas de biens corrompant leur volonté, j'essaye de considérer que je n'ai rien à défendre, si ce n'est l'idée que je n'ai rien à défendre si ce n'est l'existence de ma pensée indépendante des pensées dominantes -si vous avez bien lu je me contredis moi-même de manière éclatante dans cette phrase.


Conclusion: jouer oui, mais en connaissance des règles, des limites du jeu et de pourquoi on y participe.

[Baptiste]

Personnellement je me contrefous de l'emploi bourgeois de Facebook, ou des enjeux de lutte de classes, qui, certes, existent, mais ne me choquent pas outre-mesure (disons que ca a toujours existe et que Facebook en est l'un des continuateurs)
Non, moi c'est plutot la maniere qu'a la philosophie Facebook de considerer les relations humaines qui m'effraie. Facebook pousse la logique de l'amitie vituelle a son paroxysme. Remi tu cites les forums ou les blogs, la difference c'est que FB affiche le NEANT absolu en termes de contenu. Ah ouais tu peux poker les gens, ecrire des mots sympatoches mais surtout hypocrites pour la plupart sur leur mur, faire semblant de partager des gouts avec la personne parce que tu appartiens au groupe des amoureux du tricot irlandais, etc... Mais fondamentalement tout ce qui ressort de telles relations n'est que le vide, et aussi, c'est ce qui est le plus pervers, l'impression d'avoir eu de vraies relations.
Tout ca n'est qu'une gigantesque nevrose collective a propos de la communication (tiens salut freudisme), comme si on fondait tous nos espoirs de bonheur (ou de sortie de la solitude et de la deprime) sur une attitude d'interaction permanente. Il se trouve en plus que dans le cas de Facebook cette interaction est artificielle et sans saveur, mais je pense qu'etre en interaction permanente, en soi ce n'est pas une bonne chose.

Bon c'est un hors sujet mais quand tu me dis qu'avoir des principes rime avec orgueil, je te repondrai que j'assume completement. Il faut avoir un peu d'orgueil pour penser avoir vu ce qui est juste, et s'y tenir. Mais est-ce qu'il y a seulement une chose que l'homme fasse de bien sans orgueil?

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